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Traitement des syndromes oedémateux

ECN - Item 219 - 323

Mise à jour le 7 août 2007, par Thierry Hannedouche, Temps de lecture estimé : 8 min.
 
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Objectifs :

Devant l’apparition d’oedèmes des membres inférieurs :

  • Argumenter les hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents
  • Connaître les principes généraux du traitement symptomatique et de la surveillance.

Les principes généraux du traitement des oedèmes sont :

(1) supprimer ou traiter l’affection responsable lorsque cela est possible,
(2) restreindre l’apport sodé alimentaire pour minimiser la rétention d’eau et de sel,
(3) habituellement prescrire un traitement diurétique.

1. Régime sans sel

Le régime désodé strict est la pierre angulaire du traitement des syndromes oedémateux. L’objectif est de négativer le bilan sodé et ceci n’est possible que si la natriurèse sous diurétique est nettement supérieure à l’apport alimentaire en sel. L’idéal est de réduire l’apport alimentaire en sel en-dessous de 2-3 g/j ce qui en pratique n’est réalisable qu’à l’hôpital. Un apport quotidien de sel >8 g/j rend illusoire la fonte des oedèmes même avec les traitements diurétiques les plus puissants.

Le repos au lit permet également de favoriser la perte de sodium en évitant la stimulation du système rénine-angiotensine-aldostérone par l’orthostatisme.

2. Traitement diurétique

Le repos au lit et le régime sans sel sont des mesures indispensables au traitement des syndromes oedémateux mais ils ne sont habituellement pas suffisants et il est nécessaire de recourir à un traitement diurétique en complément.

1.1. Précautions d’emploi avec les diurétiques

L’oedème pulmonaire est la seule forme d’oedème menaçante sur le plan vital et qui demande un traitement immédiat.

Dans les oedèmes périphériques, la correction de l’excès de fluide peut être réalisée plus lentement car il n’y a pas danger immédiat pour le patient. Ceci est particulièrement vrai au cours de la cirrhose hépatique, au cours de laquelle l’hypokaliémie, l’alcalose métabolique et les transferts rapides de fluides induits par les diurétiques peuvent précipiter le coma hépatique ou le syndrome hépato-rénal.

Globalement l’objectif thérapeutique est d’obtenir la fonte des oedèmes interstitiels sans compromettre le volume sanguin circulant. Lorsque des diurétiques sont administrés, le fluide soustrait provient initialement du plasma. Ceci réduit la pression veineuse ce qui permet la restauration du volume plasmatique par la mobilisation des oedèmes vers le compartiment vasculaire (“refilling”).

  • Chez les patients ayant une rétention primitive rénale de sodium le volume sanguin circulant effectif est augmenté et le traitement diurétique permet simplement de baisser vers la normale ce volume circulant sans risque d’hypoperfusion rénale ou tissulaire.
  • Au cours de l’insuffisance cardiaque et de la cirrhose hépatique la rétention rénale hydrosodée est une rétention compensatrice qui tend à augmenter le volume circulant effectif vers la normale. Comme la soustraction hydrosodée sous diurétique provient essentiellement du volume plasmatique, il y a diminution de la volémie, du retour veineux au coeur et donc des pressions de remplissage cardiaque ce qui contribue à abaisser le débit cardiaque et donc la perfusion tissulaire. Le risque d’hypoperfusion tissulaire est plus important lorsque les diurétiques sont utilisés de façon excessive et trop rapidement.

Courbe de Franck-Starling reliant le volume d’éjection systolique (VES) et la pression télédiastolique du ventricule gauche (PTDVG) chez un patient avec fonction cardiaque normale, insuffisance cardiaque modérée et sevère.

  • Chez les patients avec des oedèmes généralisés par insuffisance cardiaque ou syndrome néphrotique, l’oedème peut être mobilisé relativement rapidement parce que la plupart des lits capillaires sont concernés. Ainsi la soustraction de 2 à 3 litres d’oedème en 24 heures peut être obtenue chez ces patients avec des oedèmes importants sans réduction notable du volume plasmatique.
  • En revanche au cours de la cirrhose hépatique avec ascite mais sans oedème périphérique, l’excès de fluide ascitique ne peut être mobilisé que par les capillaires péritonéaux. La vitesse de mobilisation maximale de l’ascite est de 500 à 750 ml/jour et si une diurèse est obtenue plus rapidement, le volume plasmatique diminue, ce qui aboutit à une insuffisance rénale fonctionnelle voire au syndrome hépato-rénal. Cette limitation ne concerne pas les patients qui ont également des oedèmes périphériques dans la mesure où la vitesse de mobilisation des oedèmes est relativement non limitée dans ce contexte.
  • L’adéquation de la perfusion tissulaire peut être estimée simplement par la surveillance du rapport urée/créatinine plasmatique (rapport molaire normalement égal à 50). Tant que ce rapport U/C reste constant, on peut estimer que le traitement diurétique n’a pas induit d’altération significative de la perfusion au niveau des reins et donc des autres organes. L’augmentation du rapport U/C indique qu’une soustraction hydrosodée supplémentaire doit être évitée et qu’il faut s’orienter vers d’autres mesures thérapeutiques (vasodilatateur ou inotrope dans l’insuffisance cardiaque par exemple).

3.2.2. Choix du diurétique

Le traitement diurétique dans les oedèmes généralisés est généralement débuté avec un diurétique de l’anse [furosémide (Lasilix®) ou bumétanide (Burinex®)]. Les diurétiques de l’anse agissent tous sur la même cible (la protéine de transport Na-K-2Cl dans la branche ascendante large de l’anse de Henle). Leur mécanisme d’action étant identique, l’association est illogique et inutile. Les avantages et les inconvénient de chacun des produits commercialisés sont repertoriés dans le tableau suivant.

L’approche thérapeutique varie selon la cause du syndrome oedémateux :

 pour la cirrhose hépatique, la spironolactone (Aldactone®) est le diurétique de choix initial. La diurèse doit être obtenue lentement en l’absence d’oedème. Chez les patients avec une ascite sous tension, il est habituellement nécessaire de recourir à des parasynthèses.

 pour l’insuffisance cardiaque congestive, le débit de diurèse n’est habituellement pas limitant mais une surveillance attentive doit rechercher des signes d’hypoperfusion.

 en cas de syndrome néphrotique, des doses plus importantes de diurétiques de l’anse sont habituellement nécessaires en raison de la liaison du diurétique de l’anse à l’albumine dans la lumière tubulaire, ce qui le rend inactif. Une dose plus importante peut également être nécessaire chez les patients avec une insuffisance rénale en raison de la diminution marquée du nombre de néphrons fonctionnels.

 Pour les patients avec des oedèmes résistants quelle qu’en soit la cause, des doses importantes de diurétique de l’anse, administrées par voie intraveineuse, et le recours à des combinaisons de diurétiques agissant à différents sites du néphron peuvent être nécessaires.

Tableau : Choix d’un diurétique de l’anse

ProduitEquivalences de doseAvantagesInconvénients
Furosémide (Lasilix) 40 mg IV = 80 mg PO Rapport de bioéquivalence
PO/IV stable quelle que soit la fonction rénale
Biodisponibilité orale médiocre =
 Dose orale = 2 x dose IV
Bumétanide (Burinex®) 1 mg IV = 1 mg PO (le rapport 1/40 passe à 1/20 en cas d’insuffisance rénale avancée) Biodisponibilté orale correcte
 Dose orale = Dose IV
Courbe dose-réponse se modifie avec la fonction rénale
 Posologie plus forte en proportion en cas d’insuffisance rénale
Pirétanide (Eurelix®) et Lasilix 60 mg Retard non comparable
 forme galénique de libération prolongée
 ? en théorie effet diurétique faible mais prolongé
 préférer un thiazide à la place
L’absence de pic de concentration rend ce produit impropre au traitement des oedèmes
Acide éthacrinique Dérivé non sulfamidé
 Pas d’allergie croisée avec les
autres diurétiques de l’anse,
thiazides, acétazolamide
Ototoxicité +++
 Plus commercialisé en France

3.2.3. Doses de diurétiques

Tous les diurétiques ont une courbe dose-réponse caractérisée par :

 une quantité minimale d’excrétion urinaire de diurétiques nécessaire pour induire une diurèse
 une courbe ascendante au cours de laquelle l’augmentation de l’excrétion urinaire de diurétiques est parallèle à l’augmentation de l’excrétion en sodium
 un plateau au cours duquel toute élévation supplémentaire de l’excrétion diurétique n’induit pas d’effet natriurétique supplémentaire.


Relation entre le débit d’excrétion du furosémide et l’augmentation d’excrétion sodée urinaire chez un sujet normal et un patient avec une insuffisance cardiaque congestive (ICC). Il n’y a pas de réponse diurétique pour un débit sécrétoire de furosémide inférieur à 10 µg/min. L’augmentation de l’excrétion sodée est ensuite dose-dépendante jusqu’à un effet -plateau survenant pour une excrétion de furosémide supérieure à 400 µg/min. Pour un même débit urinaire de furosémide, les patient avec une ICC ont une excrétion urinaire de sodium plus faible en raison d’une réabsorption accrue de sodium dans les autres segments du néphron.

Chez les sujets à fonction rénale normale, la diurèse est obtenue par une dose de 10 mg de furosémide avec un effet maximal à 40 mg par voie intraveineuse. Une dose supplémentaire ne provoque pas d’effet natriurétique additionnel.

La dose diurétique efficace est plus importante chez les patients ayant une insuffisance cardiaque, une cirrhose hépatique avancée ou une insuffisance rénale. Dans ce contexte, la baisse de la perfusion rénale et donc de la quantité de médicaments délivrée aux reins, la diminution de la sécrétion du diurétique dans la lumière tubulaire (liée à la rétention d’anions compétitifs sur la sécrétion tubulaire proximale) au cours de l’insuffisance rénale et enfin l’augmentation des mécanismes de rétention du sodium (système rénine-angiotensine-aldostérone) se combinent pour diminuer l’effet diurétique.

L’objectif initial est de déterminer la dose unitaire effective. Chez la plupart des patients avec un oedème généralisé, le diurétique de l’anse, par exemple le furosémide, est commencé par une dose orale de 20 à 40 mg. Selon le contexte, le médicament peut être administré par voie orale ou intraveineuse. Une réponse diurétique est généralement observée avec la première dose :

 S’il n’y a pas du tout d’effet diurétique après la première administration, c’est que la concentration urinaire de diurétiques était insuffisante. Il faut dans ce cas doubler la dose unitaire jusqu’à ce qu’une diurèse soit obtenue (titration). La dose maximale est habituellement de 320 à 400 mg de furosémide per os (ou 160 à 120 mg par voie intraveineuse).

 Si il y a eu un effet diurétique immédiatement après l’ingestion du diurétique, la dose est efficace mais l’action est trop courte dans le temps. Il faut alors administrer cette même dose 2 voire 3 fois par jour. Chez certains patients hospitalisés, notamment en unité de soins intensifs, il est possible et souvent souhaitable d’administrer le diurétique de l’anse sous forme de perfusion intraveineuse continue. L’efficacité de ces perfusions continues est liée au maintien d’un débit optimal d’excrétion urinaire de diurétiques.

Tableau : Doses maximales efficaces selon l’indication

IndicationFurosémide IVBumétanide IV
Sujet normal 40 mg 1 mg
Cirrhose hépatique FG normale 40 mg 1 mg
Insuffisance cardiaque FG normale 40-80 mg 2-3 mg
Syndrome néphrotique FG normale 120 mg 3 mg
Insuffisance rénale Doubler la dose précédente ou 80 à 500 mg selon la FG 2 à 10 mg selon la FG


3.2.4. Evolution de la réponse diurétique

Lorsqu’un traitement diurétique est démarré, la réponse diurétique et natriurétique est maximale avec la première dose et diminue progressivement sur une à deux semaines pour aboutir à la constitution d’un nouvel état d’équilibre, au cours duquel l’excrétion d’eau et de sel devient égale aux apports alimentaires. Ce phénomène correspond à l’adaptation tubulaire rénale à la baisse de la volémie.

Il en résulte deux notions importantes :

 chez un malade stable sous diurétiques, la natriurèse représente précisément les apports alimentaires en sodium ce qui permet d’apprécier le caractère effectif ou non de la restriction sodée préconisée.
 si un patient reste oedémateux alors que le stade d’équilibre a été obtenu, il est nécessaire d’augmenter la dose ou de recourir à une combinaison de diurétiques.

En plus de la surveillance du volume urinaire, il faut également surveiller la possibilité de complications hydroélectrolytiques telles que l’hypokaliémie, l’alcalose métabolique, l’hyponatrémie et l’hyperuricémie (voir la question Traitement diurétique).