ECN - Item 219
Objectifs :
Il faut identifier à partir de l’histoire clinique les processus potentiellement impliqués dans un trouble acide-base (Tableau 1).
On recherche des éléments d’orientation par l’examen physique :
Tableau 1 : Désordre acide-base attendu selon le contexte clinique
Contexte clinique | Désordre acide-base attendu |
---|---|
insuffisance rénale = | acidose métabolique |
diarrhée sévère aiguë = | acidose métabolique |
traitement par acétazolamide = | acidose métabolique |
vomissements = | alcalose métabolique |
traitement diurétique = | alcalose métabolique |
insuffisance cardiaque = | alcalose respiratoire |
pneumopathie = | alcalose respiratoire |
grossesse = | alcalose respiratoire |
intoxication à l’héroïne = | acidose respiratoire |
bronchopneumopathie chronique obstructive = | acidose respiratoire chronique |
oedème pulmonaire = | alcalose respiratoire suivie par une acidose respiratoire et une acidose métabolique (acide lactique) |
choc septique = | alcalose respiratoire et acidose métabolique (acidose lactique) |
syndrome hépato-rénal = | alcalose respiratoire + acidose métabolique (insuffisance rénale) |
3.1. Mesure du pH
Le pH et PCO2 sont mesurés sur du sang prélevé sans air (afin de prévenir la perte de CO2 par dissipation) dans une seringue héparinisée.
Le pH est mesuré par une électrode perméable uniquement aux ions H+ et la PCO2 par une électrode spécifique à CO2. La concentration de bicarbonate HCO3-peut être calculée à partir de l’équation de Henderson-Hasselbalch ou mieux, être mesurée directement par colorimétrie. Cette méthode mesure en réalité le CO2 total et inclut ainsi le CO2 dissout (égal à 0.03 PCO2) ce qui
ajoute 1 à 2 mmol/l au HCO3- dans les concentrations physiologiques. La différence entre les valeurs mesurées et calculées de concentrations plasmatiques de bicarbonate sont habituellement modestes.
Les valeurs normales des variables acide-base dans le sang artériel et veineux sont représentées dans le tableau suivant
[1] :
pH | H+ (mmol/l) | PCO2 (mmHg) | HCO3- (mmol/l) | |
---|---|---|---|---|
Artériel | 7.37 - 7.43 | 37 - 43 | 36 - 44 | 22 -26 |
Veineux | 7.32 - 7.38 | 42 - 48 | 42 - 50 | 23 -27 |
La baisse du pH (élévation de la concentration de proton) dans le sang veineux est liée à la captation du CO2 métabolique dans la circulation capillaire.
En général, les gaz du sang artériels plutôt que veineux sont utilisés pour mesurer le pH extracellulaire. La gazométrie artérielle permet de mesurer l’oxygénation artérielle et n’est pas influencée par les variations locales de perfusion tissulaire. Cependant, le sang veineux est plus facile à obtenir et peut être suffisant pour la détermination du pH si le sang est prélevé sans garrot dans une zone bien perfusée.
3.2. Interprétation de la gazométrie.
L’acidémie est définie comme une diminution du pH sanguin < 7,38(ou une augmentation de la concentration de H+) et l’alcalémie désigne une élévation du pH sanguin > 7,42(ou une baisse de la concentration de H+).
Les termes « acidose » et « alcalose » se réfèrent aux processus qui tendent à abaisser ou élever le pH respectivement. Dans la plupart des circonstances, une acidose aboutit à l’acidémie et l’alcalose à une alcalémie. Cependant, ceci n’est pas toujours vrai chez les patients avec des troubles complexes de l’acide base chez qui le pH final dépend de l’équilibre entre les différents processus impliqués.
Les variations du pH et de H+ sont induites par des altérations de la PCO2 ou de la concentration plasmatique de HCO3- . Comme PCO2 est régulée par la ventilation, des anomalies primitives de PCO2 sont responsables d’acidose (PCO2 élevée) ou d’alcalose (PCO2 basse) dites « respiratoires ». Inversement des variations primitives de HCO3- sont responsables d’acidose (HCO3-basse) ou alcalose (HCO3- élevée) dites « métaboliques ».
Dans chacun de ces désordres AB, des réponses compensatrices rénales ou respiratoires sont mises en jeu afin de minimiser les variations de pH ou de H+ en minimisant les variations du rapport PCO2/HCO3-. Pour cela, les réponses compensatrices vont toujours dans le même sens que l’anomalie primitive. Par exemple, une baisse de HCO3-au cours d’une acidose
métabolique, induit une augmentation de la ventilation qui abaisse PCO2 de façon appropriée.
Tableau : Diagnostic des désordres acide-base simples
Désordres | pH | H+ | HCO3- | PCO2 |
---|---|---|---|---|
Acidose métabolique | - | + | - | - |
Alcalose métabolique | + | - | + | + |
Acidose respiratoire | - | + | + | + |
Alcalose respiratoire | + | - | - | - |
+ : au-dessus des valeurs normales . - : au-dessous des valeurs normales
Ce tableau démontre que le diagnostic d’un désordre acide-base nécessite la mesure du pH sanguin. La concentration de HCO3- isolément n’est pas suffisante. Une HCO3- élevée peut s’observer par exemple en cas d’alcalose métabolique ou d’acidose respiratoire.
3.3 Prédiction de la réponse compensatrice.
La réponse compensatrice peut être prédite empiriquement mais assez précisément. Par exemple, en cas d’acidose métabolique simple, la baisse de HCO3- entraîne une baisse relativement prévisible de PCO2 : la baisse de HCO3- multipliée par 1.2 donne
approximativement la baisse de PCO2.
Le tableau suivant résume les différentes équations permettant de prédire la réponse compensatrice. Ces valeurs sont basées sur une réponse complète. La compensation respiratoire peut prendre plusieurs heures et la réponse rénale encore plus longtemps ce qui nécessite le recours à des formules différentes pour l’adaptation aiguë et chronique. La réponse métabolique à une perturbation respiratoire aiguë est très minime, rarement plus de 3-4 mmol/l de HCO3-.
A l’exception de l’alcalose respiratoire chronique, la compensation n’est jamais complète si bien qu’un pH ou une H+ normale doivent toujours faire évoquer un désordre acide-base complexe.
Tableau : équations de prédiction de la réponse compensatrice
Anomalie AB | Compensation | Limites de la compensation |
---|---|---|
Acidose métabolique | dPCO2 = 1.20 dHCO3 ou
PCO2=1.5 HCO3 +8±2 |
PCO2 pas < 10 mmHg |
Alcalose métabolique | dPCO2 = 0.50 dHCO3 | PCO2 pas > 55 mmHg |
Acidose respiratoire
aiguë chronique |
.
dHCO3-= 0.10 dPCO2 dHCO3-= 0.35 dPCO2 |
.
HCO3 pas > 30 mmol/l HCO3 pas > 45 mmol/l |
Alcalose respiratoire
aiguë chronique |
.
dHCO3-= 0.20 dPCO2 dHCO3-= 0.50 dPCO2 |
.
HCO3 pas < 17 mmol/l HCO3 pas < 12 mmol/l |
Les relations entre le pH (ou H+), PCO2 et HCO3- peuvent être représentées sous forme de graphique avec les intervalles de confiance des compensations appropriées. Lorsque la réponse sort de ces intervalles de confiance, il existe un désordre AB complexe.
Nomogramme acide-base avec les intervalles de confiance à 95% des compensations respiratoires et métaboliques des désordres acide-base simples.
Par contre, la détermination in vitro du déficit ou excès de base, du pouvoir tampon et des bicarbonates « standard » n’apporte aucun élément diagnostique supplémentaire et ne sera pas discutée plus avant.
De façon non exceptionnelle, 2 ou plus perturbations peuvent coexister et améliorer ou aggraver l’équilibre AB.
Outre l’histoire clinique orientant vers des anomalies AB multiples, d’autres indices orientent vers un désordre AB complexe :
5.1. Trou anionique sanguin (TA)
Le calcul du trou anionique est utile pour l’évaluation et la classification initiale des acidoses métaboliques. Le trou anionique permet de savoir au lit du malade si il existe une modification des anions ou des cations indosés dans le plasma.
Les lois physico-chimiques impliquent que la somme des cations et des anions soit égale dans le sang (principe de l’électroneutralité). Na et K représentent environ 95 % des charges positives (cations) alors que CO3 et Cl représentent environ 85 % des charges négatives (cations). Cette disparité arbitraire entre la somme des cations et des anions représente le trou anionique (TA).
Définition du "trou anionique"
En situation normale, les anions indosés sont principalement représentés par les charges négatives sur les protéines plasmatiques, notamment l’albumine, et dans un moindre mesure par lesphosphates, sulfates et d’autres anions organiques. Les principaux cations indosés sont représentés par le calcium et la magnésium
Les valeurs normales “classiques “ du TA sont de 12 ±4 meq/l (moyenne ± 2SD) dont 11 mmol/l sont liées aux charges négatives de l’albumine. Les valeurs sont cependant à interpréter en fonction des normes biologiques locales.
De plus, le calcul du TA doit être ajusté pour les valeurs d’albuminémie (réduction de 4 mmol/ l du TA pour chaque 10 g/l en moins d’albuminémie).
En cas de perte rénale ou digestive de HCO3-, la baisse du HCO3-est compensée par une augmentation proportionnelle du Cl-. Le TA change peu et cette forme d’acidose métabolique est dite « hyperchlorémique ». Inversement, lorsque l’acidose est produite par l’addition d’un acide autre que HCl (ou une perte de HCO3-), l’acidose s’accompagne d’un TA excessif parce que la (HCO3-) est abaissée mais remplacée par un anion non mesuré.
Le TA élevé est utile au diagnostic différentiel d’une acidose métabolique mais il n’est pas toujours possible de caractériser les anions imposés en particulier lorsque le TA n’est que modérément augmenté (< 20 mmol/l). Un TA normal n’exclut pas non plus totalement la présence d’un anion indosé (notamment lactate).
5.2. Trou anionique urinaire (TAU)
Le trou anionique peut être aussi calculé dans les urines selon la formule :
Le principal cation indosé dans l’urine est l’ion ammonium NH4+ (présent dans l’urine sous forme de NH4+ Cl-) si bien que le trou anionique urinaire donne une estimation raisonable de l’ammoniurie et permet l’orientation devant une acidose métabolique hyperchlorémique.
Au cours de l’acidose hyperchlorémique, une excrétion urinaire quotidienne d’ammonium inférieure à 1 mmol/kg est anormale et indique que le rein est la cause principale de cette anomalie. Un TAU > 0 signe l’origine tubulaire rénale de l’acidose alors qu’un TAU < 0 signe l’origine extrarénale de l’acidose.
[1] Equation d’Henderson :
Le diagnostic de l’équilibre acide-base est souvent enseigné à partir de l’équation de Henderson-Hasselbalch qui nécessite le recours au pH (antilogarithme de la concentration de H+) et donc la capacité de manipuler les logarithmes.
De nombreux cliniciens préfèrent utiliser l’équation simplifiée de Henderson qui permet de se passer des logarithmes et permet d’utiliser la PCO2 non modifiée.
La plupart des laboratoires rapportent les résultats sous forme de pH plutôt que de concentration en H+. Il faut donc convertir les pH en H+ mais ceci élimine le recours aux logarithmes.
Plutôt que de recourir à une table de conversion, on peut utiliser la relation inverse quasi linéaire entre (figure) H+
et pH dans les valeurs physiologiques et pathologiques usuelles. Dans la fourchette de pH 7.25 à 7.50, une augmentation du pH de 0.01 unité représente une diminution de H+ d’environ 1 nmol/l par rapport à la normale de 40 nmol/l. Par exemple, un pH de 7.25 représente une variation de 0.15 unité par rapport à 7.4 (normal). La concentration H+ peut être calculée comme 40 + 15 soit 55 nmol/l.
Pour des variations plus extrêmes de pH, on peut considérer que chaque baisse de pH de 0.3, double la H+, et chaque augmentation de pH de 0.30 divise par 2 la concentration de protons. Par exemple, à pH 7.10, H+ est de 80 nmol/l et pH 6.80, H+ est doublée à 160 nmol/l.
Voir en ligne : Interprête des gaz du sang